Second Opus de ma nouvelles rubrique Manger des Yeux ...
Cette fois il s'agit d'un de mes livres de chevet et ce n'est pas seulement une expression. Ce gros livre trône réellement sur ma table de chevet et j'en relis régulièrement et au hasard des passages savoureux.
J'aime particulièrement les auteurs dits écrivains voyageurs et Nicolas Bouvier est certainement un de mes préférés.
Nicolas BouvierOeuvres Quarto GallimardL'usage du MondeDans une ville qui connaît la faim, le ventre n'oublie jamais ses droits et la nourriture est une fête. Les jours fastes, les commères du quartier se levaient le matin pour éplucher, piler, désosser, touiller, hacher, pétrir, souffler la braise, et les minces vapeurs qui montaient des cours trahissaient l'esturgeon à l'étouffée, le poulet au jus de citron grillé sur charbon de bois, ou cette grosse boule de hachis remplie de noix, d'herbettes, de jaunes d'oeuf, et cuite dans le safran, qu'on appelle kufté. La cuisine turque est la plus substantielle du monde; l'iranienne, d'une subtile simplicité; l'Arménistan, inégalable dans le confit et l'aigre doux; nous, nous mangions surtout du pain. Un pain merveilleux. Au point du jour, l'odeur des fours venait à travers la neige nous flatter les narines; celle des miches arméniennes au sésame, chaudes comme des tisons; celle du pain sandjak qui fait tourner la tête, celle du pain lavash en fines feuilles semées de brûlures. Il n'y a vraiment qu'un pays très ancien pour placer ainsi son luxe dans les choses les plus quotidiennes; on sentait bien trente générations et quelques dynasties alignées derrière ce pain-là. Avec ce pain, du thé, des oignons, du fromage de brebis, une poignée de cigarettes iraniennes, et les longs loisirs de l'hiver, nous étions du bon côté de la vie. La vie à trois cent tomans par mois. J'avais maintenant assez d'élèves pour y suffire. D'eux d'entre eux, même, fils de boucher, amélioraient parfois notre ordinaire en apportant quelques déchets raflés sur l'étal paternel. C'étaient des jumeaux rouquins timides jusqu'à la panique, qui ne savaient rien, n'apprenaient rien, mais qui nous plaisaient bien lorsqu'ils tiraient de leur serviette un poumon de chèvre, grosse éponge sanguinolante, ou quelques bas morceaux de buffle encore semés de poils noirs. Chaque samedi soir nous allions au restaurant Djahan Noma, bondé de Kurdes et de sombres fêtards en casquette, manger un plat de mouton dont nous reparlions la semaine. De temps en temps, Thierry, qui peignait dans une demi-pénombre et croyait sentir sa vue baisser, s'isolait pour se cuire un kilo de carottes. A ce caprice près, il n'était pas plus exigeant que moi : un jour que je nettoyais avec un couteau les bords de notre marmite il me suggéra, l'oeil brillant, de confectionner avec ces raclures une "sorte de grosse croquette".
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Je ne connais pas du tout mais tu m'as donné envie de découvrir l'auteur...
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RépondreSupprimerBonjour Tiuscha,
Franchement tu peux y aller les yeux fermés. Les Oeuvres de "Nicolas Bouvier" sont une vraie "Bible" pour les Amateurs de ce genre de Littérature !
Merci et à Bientôt :-)
Ici aussi, on aime Nicolas Bouvier ! ;o)
RépondreSupprimerBises
Hélène
RépondreSupprimerBonjour Hélène,
Une Famille de Voyageurs, alors ?
Merci pour ta visite :-)
A Bientôt !